22

Même dans un avion comme celui-ci, luxueusement aménagé, on n’oublie pas qu’on est dans un avion. A onze mille mètres au-dessus de l’Atlantique, on sent tous les mouvements de l’appareil, comme sur un grand vaisseau parcourant les mers.

Ils étaient assis sur des sièges groupés autour d’une table, en une sorte de triangle équilatéral aux sommets invisibles. Un des sièges avait été spécialement fabriqué pour Ash, qui leur avait fait signe de prendre place sur les deux autres.

Le long des parois de la cabine s’alignaient d’autres sièges, vides comme d’énormes mains gantées prêtes à saisir un passager. L’un d’eux était plus grand que les autres. Pour Ash, sans nul doute.

Les couleurs dominantes étaient l’or et le caramel. Tout était proche de la perfection. La jeune Américaine qui avait servi les rafraîchissements, parfaite. La musique, qui avait maintenant cessé, du Vivaldi, parfaite.

Samuel dormait à l’arrière, la main refermée sur la bouteille d’alcool qu’il avait emportée de Belgravia. Il avait réclamé un bouledogue que les employés d’Ash ne lui avaient pas procuré. « Mais tu leur as dit que je pouvais avoir tout ce que je voulais. Eh bien, je veux un bouledogue. Et je le veux tout de suite ! »

Rowan était adossée à son siège. Elle ne savait plus depuis combien de temps elle n’avait pas dormi. Il faudrait qu’elle fasse un somme avant d’arriver à New York. Pour l’instant, elle se sentait électrisée et observait les deux hommes en face d’elle. Michael, qui fumait une cigarette. Et Ash, habillé d’un long manteau de soie dont il avait négligemment retroussé les manches, découvrant ses bras de chemise et leurs boutons de manchette en or et pierres. Ils lui faisaient penser à des opales, bien que sa connaissance des pierres précieuses et semi-précieuses fût pratiquement nulle. Des opales. D’ailleurs, ses yeux avaient une qualité opaline. Elle s’en était fait plusieurs fois la remarque. Il portait un pantalon large qui ressemblait plutôt à un pyjama mais était très seyant. Il avait posé un pied sur le rebord de son siège en cuir et portait au poignet droit un fin bracelet en or qu’elle trouvait très érotique, sans s’expliquer pourquoi.

Il leva la main et la passa dans ses cheveux, son petit doigt ramenant la mèche blanche avec les autres, comme s’il ne voulait pas l’oublier. Ce simple petit geste redonna vie à son visage. Il balaya la cabine des yeux puis s’arrêta sur Rowan.

Celle-ci n’avait pas vraiment prêté attention aux vêtements qu’elle avait mis. Quelque chose de rouge, de doux et de souple qui s’arrêtait juste au-dessus du genou. Michael lui avait attaché un ravissant petit collier de perles autour du cou.

Les domestiques d’Ash s’étaient chargés des bagages.

— Je ne savais pas si vous seriez d’accord pour que Samuel ait un bouledogue, lui avait dit Leslie à plusieurs reprises, très ennuyée d’avoir pu déplaire à son patron.

— Ce n’est pas grave, avait-il répondu. Nous en trouverons à New York. Il pourra les garder sur le toit de l’immeuble, dans le jardin. Savez-vous Leslie, qu’à New York des chiens vivent sur les toits et ne sont jamais descendus dans la rue ?

Que pouvait-elle bien penser de lui, la jeune Leslie ? Que peuvent-ils bien tous penser ? Était-ce un avantage pour lui d’être éminemment riche et beau ?

— Mais j’en voulais un ce soir, avait protesté le petit homme avant de replonger dans son sommeil.

Rowan avait été terrifiée en le voyant pour la première fois. Était-ce à cause de ses gènes et de ses connaissances de sorcière ? Ou était-ce le médecin en elle qui était horrifié par les replis de chair qui recouvraient la totalité de son visage ? On aurait dit une pierre diaprée et vivante. Et si le scalpel d’un chirurgien était tous ces plis et révélait des yeux, une bouche bien dessinée, des pommettes, un menton ? Cela changerait-il sa vie ?

— Un sorcier et une sorcière Mayfair, avait-il dit en les apercevant.

— Est-ce que tout le monde nous connaît dans cette partie du globe ? avait demandé Michael avec ironie. Et est-ce que notre réputation nous précède toujours ? Quand je rentrerai chez moi, je compte bien lire tous les livres sur la sorcellerie.

— Très bonne idée, avait dit Ash. Avec les pouvoirs que vous avez, vous pourriez faire plein de choses.

Michael s’était mis à rire. Ils s’aimaient bien, ces deux-là. C’était visible. Ils avaient des attitudes communes. Yuri était plus frénétique et plus jeune.

En revenant de la tour de Gordon, Michael leur avait raconté pendant tout le trajet le long récit que lui avait fait Lasher. Il avait parlé de sa vie dans les années 1500, de ses souvenirs qui remontaient encore plus loin et de son impression d’avoir vécu avant. Ce récit ne comportait aucun élément clinique, c’était plutôt la version décousue de ce dont Aaron et lui avaient été les uniques témoins. Il l’avait déjà raconté à Rowan, mais elle s’en souvenait davantage comme d’une succession d’images et de catastrophes que de mots.

L’avoir entendu de nouveau dans la limousine noire lui avait permis de rafraîchir ces images et d’en distinguer plus de détails. Lasher le prêtre. Lasher le saint, Lasher le martyr puis, cent ans plus tard, les débuts de Lasher auprès de la famille, la voix invisible dans l’obscurité, les rafales de vent dans les champs de blé et les feuillages des arbres.

— La voix de la lande, avait dit le nain, à Londres.

Ah bon ? Elle connaissait la lande. Elle ne l’oublierait jamais. Prisonnière, elle avait été traînée par Lasher dans les ruines du château. Elle n’oublierait pas non plus les moments où Lasher se « rappelait » tout, où sa chair nouvelle réclamait son esprit et le séparait des connaissances qui avaient été les siennes lorsqu’il était esprit.

Michael n’y était jamais allé. Un jour, peut-être, iraient-ils ensemble.

Ash avait dit à Samuel de dormir pendant le trajet vers l’aéroport. Le petit homme s’était octroyé un bon demi-litre de whisky tout en maugréant et en bougonnant et s’était retrouvé dans un état quasi comateux en arrivant à l’avion. On avait dû le porter.

Ils étaient maintenant au-dessus de l’Arctique.

Elle ferma les yeux et les rouvrit. La cabine vibrait.

— Je ne ferai jamais de mal à Mona, dit soudain Ash.

Rowan sursauta, plus réveillée que jamais.

Michael tira une dernière bouffée de cigarette et écrasa le mégot dans le grand cendrier de verre. Ses doigts étaient larges, puissants et couverts de poils sombres.

— Je le sais, dit Michael. Mais Yuri avait l’air affolé. Je n’ai pas bien compris pourquoi.

— C’est ma faute. J’ai agi stupidement. C’est pourquoi nous devons avoir une conversation, tous les trois. Et pour d’autres raisons également.

— Mais pourquoi nous faire confiance ? demanda Michael. Pourquoi vous lier d’amitié avec nous, même ? Vous êtes quelqu’un de très occupé, je suppose. Une sorte de multimilliardaire.

— Eh bien, c’est un autre de nos points communs, n’est-ce pas ? dit Ash d’un ton sérieux.

Rowan sourit.

Quel contraste entre les deux hommes ! L’un avait une voix profonde, des yeux bleus et des sourcils broussailleux. L’autre était très grand et mince et faisait de gracieux mouvements de poignet qui donnaient presque le tournis. Deux types d’homme aussi séduisants que différents, aux proportions parfaites et à la forte personnalité, sûrs d’eux et sereins.

Elle regarda le plafond. La fatigue déformait un peu sa vue. Ses yeux étaient secs et il fallait qu’elle dorme. Mais le moment était vraiment mal choisi.

Ash reprit la parole.

— Vous avez une histoire à raconter que nul autre que moi peut entendre et je veux l’entendre. Moi, j’en ai une que je ne raconterai qu’à vous. Refusez-vous mes confidences ? Refusez-vous mon amitié et mon amour ?

Michael réfléchit.

— Je crois que je prendrai le tout, puisque vous nous le proposez, dit-il en riant.

— D’accord, dit doucement Ash.

— Mais vous savez que j’ai tué Lasher, reprit Michael. Yuri vous l’a dit. Vous ne m’en voulez pas d’avoir tué l’un des vôtres ?

— Il n’était pas l’un des miens, répondit Ash en souriant gentiment.

La lumière faisait scintiller la mèche blanche de sa tempe gauche. On aurait dit un homme d’une trentaine d’années, élégant, une sorte de génie des affaires prématurément riche. En fait, un être plusieurs fois centenaire et d’une infinie patience.

Soudain, elle se sentit fière d’avoir tué Gordon. C’était la première fois dans sa triste vie qu’elle avait aimé user de son pouvoir de tuer par sa seule volonté. Cela avait confirmé ce qu’elle soupçonnait depuis toujours : si elle le voulait vraiment, ce pouvoir était imparable.

— J’ai certaines choses à vous dire, dit Ash. Vous devez savoir ce qui s’est passé et comment nous sommes arrivés dans la lande. Mais pas maintenant. Nous sommes trop fatigués.

— Oui, dit Michael. J’aimerais savoir.

Il plongea la main dans sa poche et sortit une cigarette.

— J’aimerais tout savoir à votre sujet, reprit-il. Et j’aimerais aussi examiner le livre, à condition que vous soyez d’accord.

— Bien sûr, dit Ash. Vous êtes une véritable tribu de sorciers et de sorcières. Nous sommes proches, vous et moi. Ce n’est pas si compliqué, en réalité. J’ai appris à vivre dans une profonde solitude. J’arrive à l’oublier pendant des années, puis le désir de renouer des liens refait surface. J’ai le besoin d’être connu, compris et évalué moralement par un esprit évolué. C’est ce qui a fait le charme du Talamasca dès le début : je pouvais y aller à tout moment pour me confier à mes érudits et discuter avec eux des nuits entières. Bien d’autres non-humains ont également bénéficié de cette possibilité. Je ne suis pas le seul.

— En tait, c’est ce dont nous avons tous besoin, non ? dit Michael en jetant un regard vers Rowan.

Un moment de silence, léger et invisible comme un baiser, s’écoula.

Elle hocha la tête.

— Oui, acquiesça Ash. Les êtres humains ont du mal à survivre sans ce genre d’échange, de communication. L’amour. Notre race était très aimante. Nous avons mis beaucoup de temps à comprendre la notion d’agression. Les humains nous considèrent toujours un peu comme des enfants mais nous n’en sommes pas. C’est à cause de cette forme de douceur particulière qui nous caractérise. Elle est empreinte d’entêtement, d’un désir de gratification immédiate et de simplicité en toute chose.

Il se tut un instant, puis demanda très sincèrement :

— Qu’est-ce qui vous tracasse, en fait ? Pourquoi avez-vous hésité, tous les deux, quand je vous ai proposé de venir à New York avec moi ? Que s’est-il passé dans vos esprits ?

— Tuer Lasher était plus ou moins une question de survie pour moi, dit Michael. Il y avait un témoin, un homme qui pouvait comprendre et pardonner, si cela avait été nécessaire. Et cet homme est mort.

— Aaron ?

— Oui. Quant aux deux autres types, eh bien, disons que c’était de l’autodéfense…

— Et ces morts vous hantent, dit gentiment Ash.

— J’ai tué Lasher volontairement. Il avait fait du mal à ma femme et il m’avait pris mon enfant. Qu’aurait été cet enfant, exactement ? Nul ne peut le dire. Tant de questions restent en suspens. Lasher s’était aussi attaqué aux femmes de la famille. Dans son besoin de procréer, il les avait tuées. Il ne pouvait plus vivre parmi nous. La coexistence était impensable. Et puis il y a eu, comme vous dites, le contexte. C’est-à-dire la façon dont il s’est présenté dès le début, sous forme de fantôme, la façon dont il m’a… utilisé dès le départ.

— Je vous comprends parfaitement, dit Ash. À votre place, je l’aurais tué aussi.

— Ah bon ? Il était pourtant l’un des derniers membres de votre espèce sur terre. Vous n’auriez pas ressenti une sorte de loyauté envers votre race ?

— Non, dit Ashlar. Je crois que vous ne me comprenez pas. J’ai passé ma vie à me prouver que je suis aussi bon qu’un humain. Rappelez-vous qu’un jour j’ai voulu expliquer au pape Grégoire que nous avions une âme. Je n’aurais jamais pris la défense d’un esprit errant assoiffé de pouvoir qui aurait usurpé un corps humain. Ce type d’attitude ne provoque en moi aucun sentiment de loyauté.

Michael hocha la tête.

— Parler avec Lasher, poursuivit Ash, discuter avec lui de ses souvenirs aurait pu m’apporter un repos considérable. Mais non, je n’aurais éprouvé aucun sentiment de loyauté à son égard. Ce que les chrétiens et les Romains n’ont jamais comprit, c’est qu’un meurtre reste un meurtre, que la victime soit un humain ou l’un d’entre nous. J’ai vécu trop longtemps pour croire bêtement que les humains sont indignes de compassion, qu’ils sont « autres ». Nous sommes tous liés, tout est lié. J’ignore le comment et le pourquoi. Mais c’est vrai. Lasher a tué pour parvenir à ses fins et cet être malfaisant devait être détruit pour toujours. Celui-là seulement…

Il haussa les épaules et sourit de nouveau, un peu amèrement peut-être.

— J’ai toujours pensé, imaginé, rêvé, reprit-il, que si nous revenions, si une nouvelle chance nous était donnée sur cette terre, nous pourrions éradiquer le crime.

Michael sourit.

— Vous ne le pensez pas en ce moment.

— Non, et j’ai mes raisons. Vous comprendrez quand nous serons chez moi à New York.

— Je haïssais Lasher, dit Michael. Il était méchant et vicieux. Il se servait de nous. Erreur fatale. Vous croyez au destin ?

— Je ne sais pas.

— Comment ça, vous ne savez pas ?

— Il y a des siècles de cela, on m’a dit qu’être le seul survivant de mon peuple était mon destin. J’étais malin. J’avais survécu aux hivers, aux batailles et à des événements indescriptibles. Alors, j’ai continué à survivre. Destin ou instinct de survie ? Je l’ignore. Quoi qu’il en soit, cette créature était votre ennemie. Pourquoi avez-vous besoin de mon pardon ?

— Le problème n’est pas vraiment là, dit Rowan, avant que Michael ne puisse répondre.

Elle était toujours recroquevillée dans son siège, la tête appuyée sur le cuir du repose-tête. Elle les voyait bien tous les deux et tous deux la regardaient.

— Du moins, je ne pense pas que ce soit le problème de Michael, poursuivit-elle. Il se tracasse pour quelque chose que j’ai fait et qu’il n’a pu faire lui-même.

Elle fit une pause.

— J’ai tué un autre Taltos, une femelle.

— Une femelle ? demanda doucement Ash. Une vraie femelle Taltos ?

— Oui, la fille que j’ai eue de Lasher. Je l’ai tuée. Je l’ai abattue avec un pistolet. Je l’ai tuée dès que j’ai vu ce qu’elle était. J’avais autant peur d’elle que de lui.

Ash paraissait fasciné mais nullement ébranlé.

— Je redoutais une rencontre entre le mâle et la femelle. J’avais peur des cruelles prédictions de Lasher et du sombre avenir qu’il avait décrit. Et j’avais peur qu’en fécondant une autre Mayfair il n’engendre un mâle qui trouverait la femelle et se reproduirait avec elle. Cela aurait été une victoire pour lui. Il aurait gagné. Après tout ce que j’avais souffert, tout ce que Michael et les autres sorcières Mayfair avaient souffert, depuis le début, cet accouplement aurait été le triomphe du Taltos.

Ash hocha la tête.

— Ma fille est venue vers moi avec amour, dit Rowan.

— Oui, murmura Ash, impatient d’entendre la suite.

— Je l’ai tuée. J’ai tué ma petite fille sans défense alors qu’elle m’avait soignée avec son lait. Elle m’avait guérie du traumatisme de sa naissance. Ce qui me tracassait, et tracassait aussi Michael, c’était que vous découvriez cela. Vous, justement, qui cherchiez à vous rapprocher de nous. Nous avions peur que vous soyez horrifié quand vous sauriez que j’avais éliminé une femelle.

Ash se pencha en avant. Il posa les coudes sur ses genoux et un doigt sous sa lèvre inférieure. Les sourcils levés, il regarda Rowan droit dans les yeux.

— Qu’auriez-vous fait si vous l’aviez découverte, mon Emaleth ? demanda Rowan.

— C’était son nom ? murmura-t-il, étonné.

— C’était le nom que son père lui avait donné. Il m’avait violée un nombre incalculable de fois. Les fausses couches ont failli me tuer. Et puis, finalement, j’ignore pourquoi, il y a eu Emaleth, la seule qui ait été assez résistante pour naître.

Ash soupira, s’adossa à son siège et posa un bras sur l’accoudoir. Il dévisagea Rowan. Mais il ne semblait ni accablé ni fâché.

Pendant une fraction de seconde, elle se trouva folle de lui avoir avoué la vérité. Surtout ici, dans son propre avion. Mais c’était incontournable. Il fallait qu’il sache s’ils voulaient progresser, mieux se connaître et cultiver l’amour qui était en train de naître entre eux.

— Est-ce que vous auriez voulu l’avoir ? demanda Rowan. Auriez-vous remué ciel et terre pour la trouver, la sauver, la mettre en sécurité et reconstituer votre tribu ?

Michael avait peur pour elle, son regard était éloquent. En les considérant tous les deux, elle se rendit compte qu’elle ne parlait pas que pour eux. Elle parlait aussi pour elle, la mère qui avait appuyé sur la détente et tué sa fille. Elle tressaillit soudain. Les yeux fermés, son corps se mit à trembler et s’affaissa en arrière. Elle avait entendu la chute du corps sur le sol, elle avait vu le visage exploser, elle avait bu le lait, ce lait épais comme un sirop blanc, si bon pour elle.

— Rowan, dit doucement Ash. Rowan, je vous en prie, ne revivez pas ces instants à cause de moi.

— Vous auriez remué ciel et terre pour la trouver, n’est-ce pas ? demanda-t-elle. C’est pour cela que vous êtes allé en Angleterre quand Samuel vous a appelé pour vous raconter l’histoire de Yuri. Vous vous êtes précipité parce qu’on avait vu un Taltos à Donnelaith.

— Je ne connais pas la réponse à votre question. Je serais venu, oui, mais essayer de l’emmener, je ne sais pas.

— Allez, comment aurait-il pu en être autrement ?

— Comment aurais-je pu ne pas vouloir recréer la tribu, voulez-vous dire ?

Il secoua la tête et regarda pensivement par terre.

— Vous êtes un sorcier et une sorcière vraiment étranges, murmura-t-il.

— C’est-à-dire ?

Ash se leva soudain. Sa tête touchait presque le plafond de la cabine. Il s’étira puis leur tourna le dos, fit quelques pas et se retourna vers eux.

— Ce que je peux vous dire, c’est que je suis content que la femelle soit morte. J’en suis vraiment content.

Il hocha la tête et posa une main sur le dossier de son siège. Il avait le regard ailleurs. Ses cheveux tombaient sur ses yeux. Il avait un air presque décharné et ressemblait un peu à un magicien.

— Je suis soulagé que vous m’appreniez en même temps qu’elle a existe et qu’elle n’est plus.

— Je crois que je commence à comprendre, dit Michael.

— Vous croyez ?

— Nos tribus apparemment similaires et pourtant trop dissemblables ne peuvent se partager cette terre, n’est-ce pas ?

— C’est exactement cela. Quelle race peut coexister avec une autre ? Quelle religion avec une autre ? La guerre est partout et, quoi que l’on dise, une guerre est toujours de nature tribale. Elle vise l’extermination, que ce soient les Arabes contre les Kurdes, les Turcs contre les Européens ou les Russes contre les Orientaux. Cela ne s’arrêtera jamais. Les hommes en rêvent, bien sûr, mais ce sera impossible tant qu’ils seront des hommes. Si mon espèce renaissait et si les humains étaient exterminés, mon peuple pourrait vivre en paix. Mais n’est-ce pas ce que pensent tous les peuples ?

— Ne peut-on imaginer qu’un jour il n’y aura plus de conflits ? suggéra Michael.

— C’est concevable, oui, mais impossible.

— Il n’est pas indispensable qu’une ethnie domine les autres, insista Michael. Elles peuvent très bien ne pas même se connaître.

— Vous voulez dire que nous pourrions vivre dans la clandestinité ? Savez-vous à quelle vitesse se multiplient ceux de notre race ? Savez-vous à quel point nous sommes puissants ? Vous n’avez jamais vu un Taltos naître en ayant déjà le savoir. Vous ne l’avez jamais vu atteindre sa taille adulte en quelques minutes. Vous n’avez jamais vu cela.

— Moi, si, dit Rowan. Deux fois.

— Et qu’en dites-vous ? Que se passerait-il si j’avais une femelle ? Ou si je m’en prenais à votre innocente Mona que ma semence pourrait tuer ou qui donnerait naissance à un Taltos ?

— Ce que je peux vous dire, dit Rowan en prenant une profonde inspiration, c’est qu’au moment où j’ai tué Emaleth il n’y avait pas le moindre doute dans mon esprit : elle représentait une menace pour mon espèce et elle devait mourir.

Ash sourit.

— Et vous aviez raison.

Tout le monde se tut un instant, puis Michael prit la parole :

— Vous connaissez le pire de nos secrets maintenant.

— Oui, confirma Rowan.

— Et je me demande si nous connaissons le vôtre, poursuivit Michael.

— Vous le connaîtrez, affirma Ash. Mais nous devrions dormir un peu maintenant. J’ai mal aux yeux et ma société m’attend pour régler des centaines de petits problèmes. Dormez maintenant. Quand nous serons à New York, je vous confierai tous mes secrets, les pires comme les meilleurs.

 

Taltos
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